Leurs quatre mains poussèrent, Salomon Mahoud souleva la porte. La chose ne lui fut pas pénible. Leurs quatre mains cessèrent d’exercer leur pression sur son dos, leurs propriétaires tiraient l’âne entre le précipice et les arbres épais à branches basses qui, bordant le chemin, bouchaient la vue, éreintés de peur. Ses mains à lui entrèrent les premières dans le trou, sa tête suivit. Il tomba, la porte se referma sur lui. Tandis qu’au dehors un court silence était venu, Salomon Mahoud paraissait glisser dans ce trou et murmurait fortement, impatient de rassurer celui qu’il dérangeait en y pénétrant et pressé de se faire pardonner son intrusion : « C’est moi ! », en russe, « C’est moi ! Je suis diplômé. Ne vous mettez pas en colère ! » Il entendait néanmoins tout ce qui se passait dehors : la troupe se rapprochait d’eux, arrivée sur le replat où il avait pris son déjeuner avec ses camarades, ne prononçait pas un mot, comme si elle avait été composée de fantômes, démentant cette intuition seulement par le bruit que faisaient les cailloux poussés de côté par leurs godillots. Seulement, quand ils se furent tous rassemblés à deux pas de la porte sous laquelle Mahoud pouvait bien maintenant se considérer comme caché, ils se mirent à aboyer tous ensemble, il sembla à Mahoud qu’ils lui criaient juste dans l’oreille. En russe toujours, il se demandait dans des murmures quand s’arrêteraient ces hurlements, et cela en forme de prière, puisque Mahoud, il le savait bien, était entré dans une tombe de fortune. Les genoux appuyées sur la tête du mort enterré là, la joue collée aux planches de la porte, un doigt glissé entre elles et le sol poussiéreux, Mahoud vit ce qui se passait.