Effet de tous ces hurlements, l’âne se mit à ruer, manqua de glisser dans le précipice, y poussa l’assistant qui dans un seul cri bref perdit pied, attirant un homme de la troupe, l’arme à la ceinture, à l’endroit d'où il avait disparu. « Quels idiots ! » cria le bandit d’un ton qui fit taire ses camarades. « Que s’est-il passé ? – Un type vient de tomber dans le ravin. – Qui ça ? – Je demande. » Il ressortit de derrière les arbres, suivi par le projectionniste, et, au bout de sa bride, l'âne apparemment satisfait de son meurtre. « Le pauvre type s’est cassé le cou, quel imbécile » dit le bandit, époussetant d’une main sa vareuse de marin où des brindilles mêlées de sève s’étaient accrochées. « Le pauvre type, que faisait-il ? » demanda-t-il au projectionniste. « On te parle, tu sais ? Tu ne veux pas… ? Normal. Il est affecté. Nous allons prendre ton âne. Qu’est-ce que tu as encore dans tes poches ? Fais voir. Pas d’argent ? Tu veux savoir ce qu’on va en faire. Des armes, on va en acheter. On va te signer un reçu. Quelqu’un veut l’aider à ramasser son copain ? Non ? Désolé, mon gars. Combien ça vaut tout ça ? Six briques, max. Un papier… Six briques… Tiens, voilà ton reçu : réquisition de six briques, dont un âne… en trop bon état j’en ai peur, mon gars. C’est moche, tout arrive en même temps, pas vrai ? Garde ce papier. Lorsqu’on aura chassé tous les Ptèrotes de ce pays, ce sera tout comme un billet de banque. Eh, qu’est-ce que tu fais ? Non, non, tu ne comprends pas. Laisse tout ce qu’il y a dans les sacoches. Tu ne peux rien prendre. Tu ne comprends pas ? C’est ré-qui-si-tio-nné. Allons, laisse. Ne t’accroche pas. Passe tout de suite à autre chose, tu vois. Il n’y a pas de mal à laisser ça derrière toi, crois-moi. »