Mais à l’époque, qui n’eût eu peur d’y tomber ? Salomon Mahoud se retrouva sur ses pieds, seul, sur ce replat d'où le projectionniste avait décampé. Son sac de voyage, ignoré par les bandits, montrait ses entrailles. L'écharpe violette avait été ramassée. Mahoud, plein de honte, se jeta par terre près d'un gros rocher rond mais ne parvint pas à s'ouvrir le crâne sur la pierre. Il ramassa son sac. Coupant à travers bois, il escalada la Montagne-Noire du côté de la crête des Abris, jusqu'à un endroit où le vent fait craindre de tomber du chemin dans une pente abrupte interrompue par des à-pics aux noirceurs verdoyantes. Il avait à main droite le piémont de Morée, avec ses collines de mûriers et de chênes, ses chemins blancs paraissant dessiner les limites d'un terrain de football, et les camions qui passaient dessus, reliant de leur toits luisants les bourgs à Vièbe; à main gauche, la plaine des Endes, dominée par tous les massifs têtus qui montent la garde sur le flanc de la province de Ptère, et dont l’amoncèlement confus ne ressemble en réalité à rien de ce qu’on voit sur les cartes du pays parce qu’ils se pressent les uns contre les autres, se couvrant mutuellement de leurs pentes, se laissant voir en baissant la tête comme on s’efforce de faire deviner une famille féroce en glissant avec des roulements d’yeux son nom dans la conversation.