Salomon Mahoud commença de recevoir des lettres de sa mère. Elle en écrivait aussi à des parents éloignés, qui à leur tour écrivaient à Salomon Mahoud pour l'admonester. « Mais moi » se plaignait la matriarche, « je ne lui ai jamais dit de partir. Ce sont des accusations à mon encontre, qui partent sans cesse, à tout bout de champ de prétexte, à la plus petite contrariété, ou par désœuvrement, faute d’avoir rien à dire, on m’en veut. Il n’en coûte rien à ces jolis cœurs. Sa sœur la plus chère, Harba, plaint de toute son âme Salomon, le pauvre, mon chéri, d’être parti ; prétend-t-elle. Je veux bien. Je sens que je vais mal. Mais je sais qu’elle l’a aidé. L’hypocrite. Qu’elle l’aime, oui. Mais elle l’envie sûrement pas moins du tout. Au contraire, plus elle l’aime, plus elle l’envie. Parce qu’elle l’aime, elle l’imagine ; et quand elle l’imagine, elle se fait des photos bien jolies, des ponts d’or qu’il traverse, des coulées de verdures sur le visage de sa vie. Alors, elle l’envie. Elle se compare. Elle voit le petit mec auquel son père l’a déjà donnée, lui, maintenant qu’il est mort, quand même. Qu’il mourra un jour de maladie, comme toute sa famille. Qu’elle sera veuve comme moi. Qu’elle épongera ses larmes dans sa manche, tout comme moi. Qu’elle sera pareille jusqu’à la ride sur mon front, jusqu’à la manière que je me penche pour ramasser ma laine, jusqu’aux mots qu’elle dira pour se faire plaindre, ne sachant rien à rien.