La musique de son amertume se teinte à l’occasion de sénilité. Il se félicite d’être venu à Ptère, caresse entre le pouce et l’index le revers de son col, où ne brille aucune décoration, bousculant tout le monde sur son passage, y compris les voisins éberlués, stupéfaits de le voir courir seul, sans sa canne.
Il avait ramassé Sednik dans la rue, sans un sou vaillant. Il fallait bien avouer que, dès ce moment-là, Sednik était déjà extraordinairement beau parleur et l’avait embobiné complètement -- mais quoi de surprenant à cette faiblesse, chez un homme comme lui rescapé de l'enfer vièbois ? Il l'avait mis au travail sur le chantier de l'hôtel de ville.
Il y avait quelque chose en Sednik qui ne faisait pas clochard de naissance, quoique le premier instant lui-même était toujours resté, par la suite, enveloppé dans la brume la plus épaisse. Sednik était à l’époque un homme exceptionnel encore dans la masse, déjà extraordinairement intuitif. Cet instinct le faisait s’endormir brutalement à l’endroit exact où le lendemain les travaux risquaient de se heurter à des vestiges archéologiques de première importance. Il l’observait, et la nuit, à la faveur de l’obscurité, éclairés seulement par deux ou trois lampes-torches, ils s’activaient sur une de leurs pelleteuses formidablement silencieuses, si bien qu’au matin tout danger de retard était écarté, que le chantier progressait à une vitesse phénoménale.