Très facile de trancher dans l’abstrait en comptant amputations, morts d’enfants et vies arrachées. Mais raccourcir la vie, l’amputer, on ne prend pas une telle décision sans se presser le cerveau.
Margrite se tenait debout dans l’assemblée de la maison commune, écoutant les débats, et retenant une parole. Comme tout le monde se levait sans qu'une solution eut été trouvée, elle essuya une goutte de salive à la commissure de ses lèvres et comme elle partait, cet infime morceau de salive sur son doigt émit une parole :
« Plutôt morts qu’anormaux ! »
On se pressa autour de Margrite, on la congratula, on voulut lui donner une cabane spéciale et la distinguer des autres Ptèrotes pour son héroïsme, car elle avait trois enfants en âge de combattre. Mais elle, elle dit très modestement : « Qui n’en aurait dit autant ? J’ai honte. »
Elle continua de gagner sa vie très modestement, elle avait très peu de bébés à retenir, et quand ils voulaient être gentils avec elle, les Ptèrotes faisaient semblant d’avoir senti qu’ils allaient avoir envie d’en avoir, et ils se laissaient convaincre par elle de renoncer à leur désir. Elle vécut jusqu’à quatre-vingt trois ans sans qu’une seule minute de sa vie on eut pu dire d’elle qu’elle outrepassait les limites de la plus humble normale gentillesse.
Simon, le législateur, cousin de Margrite par sa mère, une ramasseuse de châtaignes :
« Honte aux modestes ! Ptère est exceptionnelle à la face du monde, c’est le monde lui-même qui nous a fait naître pour être un exemple devant toutes les nations ! Réjouis-toi, Ptère ! »