La porte de la Victoire, dans le prolongement de la porte du Yaourt.
Et tu as laissé la main du menteur façonner ses tapis, au mensonge, ses pots de fer, ses carafes, ses miroirs, ses trumeaux, ses moulures, ses enchevêtrements où mettre l’araignée, ses coins inaccessibles au plumeau. Divinité, tu as laissé tout construire une maison pour le mensonge, toute une, toute une agglomération pour les menteurs. Mais elle, la Dame, de tous la reine incontestée, elle dépasse en malignité la plus haute maison du mensonge, et elle rentre sous tous les porches avec sa carte de dépravation, toutes les portes lui renvoient son sourire, tous les guichets lui cèdent clef. Voilà sa voix qui fait des bruits dans la rue, comme un caillou qui vole et tue les oiseaux de Dieu, et elle dit à ses comparses, fière et insolente :
― Tu connais pas ma maison ?
Mettons que l’assassin ignore son crime et que la victime ne sache pas qu’elle est morte -- l’action humaine ne peut-elle être absolument invisible, et ne l’est-elle pas ? Pourquoi chercher à se faire connaître lorsqu’on a fait quelque chose de répréhensible, et donc pourquoi le cacher ? Ne dit-on que le cadavre doit trôner, en évidence pour être ignoré? Nous allons la tuer savamment, cette Dame, nous allons lui faire découvrir les méandres de la destinée, et si Dieu nous prête vie, la sienne sera bientôt si inexistante qu’on ne pourra même pas dire qu’elle a été oubliée, mais simplement qu’elle était une proposition inintéressante qu'heureusement personne n’a faite.
La voilà, sous les yeux, Ptère, la montagne aux ânes ! Un vieux gros boeuf couvert de neige d’avant en arrière – qui ne bouge pas – la forme d’un cône renversé – qui se glisse depuis le lointain dans la fraîcheur des briques – Une montagne – Allure de ne pas avoir besoin de se tourner – Assis sur les terres – de fixer dans toutes les directions avec les yeux fermés, éparpillés dans toute sa robe – D’écouter avec les oreilles jaunes et vertes de son tablier – De guetter avec ses pattes qui ouvrent et griffent – De guetter mais d’un œil distrait – De ne pas vouloir faire l’effort de lever la main – un peu aveuglée par la brume – ses pans le droit le gauche – passent à peine entre les arêtes des murs à angles aigus qui lui font une garde sur les deux côtés – comme si Montagne était un petit diamant qu’on frotte sur l’œil, donnait des pentes à sucer à toutes les langues, rafraîchissait les enfants affalés / qui s’affalent –
(Tu entends ça ? – Poussée contre les dents et cling – tu fonds – tu coules – sucée par les murs aux langues de bois rouges – qui enlèvent mille yeux d’un coup à ta robe et mille oreilles d’un revers à ton tablier de gazon et s’enroulent autour de toi pour te conserver, sous le soleil, ta forme de bœuf pâle – Aussi l’on est sûr que ton œil unique est tourné, bien caché dans le bleu derrière au centre d’un cratère invisible et qu’il se tapit)
Aujourd’hui plus large – tamponnée en bas en haut par la paume des nuages – plus bas grattée par des branches bleues – Ecrasante – Va écraser les nuages qui sont des mouches grisonnantes – va les attraper et s’en masquer – et s’enchapeauter – et se replier dessous comme si c’était du sable – Mouillé – N’avoir plus du tout de sommet – Mais un pied comme un pays – s’évanouir par feinte –
Dans une feuille de papier froissée très précieuse qui tourne en vapeur de lait –
Allure de pesant – de pesant fort – Tirant à elle toute la non-couleur blanche – elle la met au crochet – aux branches – aux greffons – aux touffes – aux oreilles – sur ses côtés – si bien que – plus qu’une ombre – une silhouette à peine brune – où coulent de légères – fines – lignes claires – oubliée sous un nuage aux grosses ailes de papillon – boursouflé – lent comme une armure
Puis noire – violette – une grosse racine agrippant la mer blanche – tournant chaque vague en lambeaux – et les arrangeant comme des chiffons autour d’elle – sur ses genoux – et ses pieds bleus – noirs – pointus mille – jaillissent profondes gouttes d’eau – par-dessus les murs – en retombant cassent – têtes os –
Son tronc – derrière la pâleur plus claire du bleu – occupe une voûte – monte – par couches de couleur invisible – monte – à une vitesse vers d’autres troncs – plus cachés – et le choc – il se fait – cause une lumière et une chaleur – leurs feuillages s’emmêlent et ne peuvent être regardés – haleine – qui frappe le gong des omoplates – sons de sourires – soulagements de toute la bouche–
Puis dans une bouteille – marinant – tu tends les bras au crayon – Mais dans l’eau que voir – l’assiette d’une montagne – ses faces droites – ses nez murs – ses pics – bosses – une motte – râpeuse qui tord le pied – petit étang pas bien propre – on s’appuie – des bulles – comme des poissons – sortent et sur le ventre – roulent – aussi grises et sonores – que des bouches d’égout – non loin d’un jet de fontaine envasé
À suivre...