Sa maison de politesse

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Je cherchai l'école de ma vie ; j'ai désiré la maison de la politesse de Crouet ; j'ai souffert de rencontrer Josquin Bustrofet. Que je sois un exemple pour les autres, par le bien comme par le mal.

La maison de la politesse de Crouet, en préparation aux difficultés de l'existence, est réglée au son de quatre commandements : Merci, De rien, Bonjour, Au revoir. Quatre y sont les repas de la journée. Quatre les principes : se polir, se polir, se polir, se polir. En échange de quoi, nourriture et logement, pain, lit, toute liberté. C'est là qu'on peut se préparer à Ptère, pour accéder à la promesse qu'est cette ville. Je me suis mis en marche vers elle, un peu tard quant à moi, et même un soir (21h46 à l'horloge du quartier). Mes parents se disputaient comme font les gens comme eux. J'en suis parti sans leur avoir demandé mon âge. Le chemin sur une route pleine jadis d’avions n’était pas éclairé, la lumière s’abritait de la nuit sous un arbre calme, demi flamme en son lampadaire, rattrapée sous le bras par une branche. Allant chez ma tante, je regardai l’eau de pluie accumulée en dalles sur la route cabossée.

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Tante me dit : « On n’entre pas comme ça à la Maison de la politesse. Beaucoup trop jeune, ils ne voudront jamais de toi, c’est normal. Si tu te prépares, c’est possible, tu n’es pas bête, mais on ne sait pas combien ça peut coûter. »

« Une solution, » elle marmonna, « une solu... » et elle ne dit plus rien, bloquée.

Un jour j'allai là où l'on vend du pain et laissai à la porte le bichon de ma tante, Serpole. Comme je payai, mais, il y eut du vacarme : le bichon furiait de toute la force tendue de ses pattes : est-ce que peut-être il avait reconnu quelqu’un, à l’instinct, de méchant et pour prévenir la police s’égosyait ? Je payai vite et sortis. --- Non !! Non pas quelqu’un ! Non pas quelqu’un ! Un chargement de bête en face de lui, qui jouait un peu avec Serpole, sautant des bonds d’âne autour de lui, la langue pendue devant cette tortue qu’il voulait retourner sur le dos. « Serpole :!: Serpole :!: Ici, Serpole :!: Il est mort :!: »

Vous vous rappelez cette phrase : « Josquin Bustrofet connait la souffrance de la Jeunesse. » C'était sa chienne, Télécabine.

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Ma tante, comme elle était gentille ! Je pleurais un peu devant elle. Elle me comprenait.

« Il n'y a pas que Ptère, dans ce monde, et tu n'es pas du tout obligé d'y aller. Tu insistes? Tenter ta chance t'intéresse? Je me suis renseignée à des gens de confiance, et on lui a dit beaucoup de remarquabilités de Josquin Bustrofet, à ta Tante. L'école Bustrofet sans subventions ne fait pas payer la réussite. Ou bien on devient premier grade à la maison de la politesse après sa préparation, ou on repart avec tout son argent, comme si de rien ne s’était passé, sauf le temps perdu, mais Bustrofet ne rate pas son coup. D’ailleurs, il ne prend pas tout le monde.

« Mais persévère ! Le problème, c'est que Jeunesse ne persévère jamais ! Jeunesse -- je m'en bouche le nez -- est injuste, indécise, imberbe, vagabonde, vénale, éreintante, patachonne, prude, visqueuse, borgne aux royaume des rois.

« Têtu, va donc au moins chez Josquin Bustrofet, mets toutes les chances de ton côté. Ne crie pas », dit-elle criant, les yeux gravitant comme des lunes. « Ne mens pas », dit-elle mentant, « Réponds, sois un peu aimable. Puisque l’année touche à sa fin, que l’examen de la maison de politesse est pour bientôt, ne fais rien qu’aller voir, si c’est difficile, et si tu ne l'as pas, si c’est vraiment difficile – bien sûr que c’est difficile ! – oui, alors va t’inscrire chez Josquin Bustrofet, et tout le monde sera content. Mais à une condition : tu ne dis rien, rien à personne. Tu te retiens. Ta vie ne regarde ni une ni deux. Tu en parleras quand tu auras réussi, pas avant. »

***

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Alors commença Josquin Bustrofet : « Madame, nous allons reprendre à zéro, avec son corps, car c'est par le corps qu'on apprend, sachez-le bien vous-même. Quant à lui, Marlon, très mal, tu commences. Tu arrives en retard à cause d’histoires de fesses, comme on vient de me le dire. Je sais tout. Mais nous n'en parlerons pas. Je ne veux pas savoir non plus si c'est de ton âge. Ce n'est pas de notre âge, ce n'est pas de l'âge de ce pays, ô espèce de pauvre âne! Je veux une confession absolue. Regarde autour de toi, les affiches, les élèves, de-ci, de-là, tu ne verras personne qui n’ait les mains propres, le regard franc. On n’a pas le temps du sexe, ici, on ne cherche pas à b-i-ai-ser. Articule. Écoute bien. Mes méthodes ne sont pas conventionnelles et je ne cherche pas la récompense de l’instant. Je fais dormir mes élèves dans mon lit, garçons et filles, tu ne feras pas exception. Je ne t’accorderai pas d’attention particulière. Tu ne te plaindras pas. Tu n’appelleras pas père-mère. Tu ne sortiras pas à des heures. Tu ne sortiras pas. Je le dis devant ta tante. Je le dis devant toi. Je le dis devant tous tes camarades. »

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«  Si tu contreviens », dit Josquin Bustrofet  « tu seras chassé. Si tu veux aller plus vite que la musique, tu seras remis au pas. Je n’ai aucune intention de te rattraper si tu tombes. Quand le seul est glissant, il faut marcher lentement ensemble. Tu auras plus de respect pour ma chienne que pour toi-même. Cette chienne va faire ton éducation plus que moi. Les chiens sont honnêtes, mais les chiennes sont sincères. Tu vas commencer par observer ma chienne et son comportement. Tu seras derrière sa queue toute la journée et tu imiteras tout ce qu’elle fait. Tu ne chercheras pas à comprendre ni à décomprendre. Tu suivras ma chienne, c’est tout. Interdiction écrite de lui donner à manger, de la toucher, de lui parler. Si elle te renifle, si elle te mord, si elle aboie, si elle s’accouple, tu ne fais rien. Je le dis devant ta tante. Je le dis devant toi. Je le dis devant tous tes camarades. »

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 « Tu vas penser que nous préparons ici à la maison de la politesse », continua Josquin Bustrofet,  « mais je te le dis, c’est la maison de la politesse qui prépare à cette maison-ci. Quand tu arriveras là-bas, tu n’auras plus rien à apprendre ; tu feras semblant d’apprendre. C’est bien connu, dans les cercles de la société, et il n’y aura pas de porte qui ne s’ouvre à toi après moi, bien au-delà de la maison de la politesse. Ton œil sera brillant tôt le matin, et il sera brillant le soir, et bientôt tu sauras pourquoi. Également: je ne veux pas que tu forniques, que tu pelotes, que tu embrasses de manière saligote, ni que tu… Traîneau! Viens ici. Le voici. C’est Traîneau, ton aîné. Il va tout t’expliquer, pendant ce temps, Madame Soulier, Marianne, venez me voir un peu. Eh, et toi, souviens-toi : À cheval donné, on ne doit la bouche regarder. »

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« Tu ne verras pas la chienne aujourd’hui », dit Traîneau, un homme fait, étroit et étiré de la tête. « Elle est chez le vétérinaire. Je te déconseille d’essayer de la toucher. Aujourd'hui, tu commenceras par la boîte. Regarde. » Et je regardai les pièces de la maison Bustrofet, des cubes aux dimensions parfaites. « Ton œil va briller à force de regarder, tu vas pleurer tout le temps, du matin au soir. Mais tu vas savoir ce que c'est, “faire les distances”, comme personne. C'est la première étape. Sache-le, moi, je suis revenu travailler auprès de Josquin, bien que j'aye eu déjà plusieurs offres de travail. Je ne me presse pas », dit-il. « Toi non plus, quand tu sortiras de la maison de la politesse, fais bien attention à prendre ton temps. Il y a de l’avenir dans ce pays pour ceux qui n'ont pas l'air hâtif. Entre. Reste dans le cube numéro 1. Tu attends. Tu regardes. »

8

Je n’avais jamais vu de cube parfait et mes organes externes n’étaient pas adaptés, au point que la forme ne me paraissait pas belle. Pour qui a vécu à Crouet toute sa vie durant, le cube est toujours manquant.

Traîneau restait dans l’entrebâillement de la porte. « Ne reste pas assis, passif. Explore. » Je ne savais pas explorer. « Utilise ton corps. Compte. Combien de pieds, combien de coudes, combien d’inspiration, combien de doigts. Il y a toutes ces manières de compter. Il y a de nombreuses manières de compter. Josquin va te montrer. Ne te presse pas. Ne reste pas passif. »

La lumière se logeait partout, bien répartie dans tout le cube par de grands panneaux carrés. Je me mis dans un coin, et comme je ne savais pas y faire, je m’endormis.

9

J’eus un rêve où je rêvais de Mon Vrai Père. Cet homme vivait au milieu des fourmis, se nourrissait de larves et d’écorce, nu jusqu’aux pieds, une serpe à la main. Il me dit : « Tu boiras non à la coulpe, mais à l’eau en direct du fleuve. Tu auras des lignées comme moi, aux six pattes. Où ton regard se posera tu enfanteras des oriflammes. » J’eus peur et je le mordis au bras, comme fait un enfant. Il fut en colère : « Je m’en vais dans le sentier et tu ne me verras pas. Tu perdras ma trace. » Tandis qu'il coupait des herbes et qu'on le voyait de moins en moins, on m’appela derrière moi et je vis ma mère qui faisait des signes à l’homme avec son chapeau – sûrement un chapeau qu’elle avait acheté depuis mon départ, il y avait piquées dedans des branches de sapin. Elle cria à Mon Vrai Père : « Reviens, ne l’abandonne pas. Ne laisse pas ton fils au pouvoir de l’ignorance. » Je pris peur et je me mis à courir. Je savais que ma mère savait mon ignorance. Je suais, ma gorge enflée de larmes. J’étais plein de bave qui me collait au tapis de sol craquelé. Mais peut-être cela n'est pas important.

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Josquin Bustrofet dit : « Qu’est-ce que tu fais ? Quelle merde on me refile ! Tu es fatigué, tu veux te reposer, fillette ? Tu crois que j’ai le temps de m’occuper de merdeux comme toi ? Tu crois pas qu’on se bouscule au portillon pour une place ici ? Peut-être ? » Au-dessus de la lumière, cet homme avait une apparence démesurée, lui pourtant normal; la pièce étant à lui le démultipliait et les ombres traînaient derrière ses gestes. Traîneau dit : « Tu ne peux pas voir parce qu'il y a trop de lumière. C'est fait exprès. Si tu utilises tes bras et tes jambes pour compter, il faut le faire d'abord les yeux fermés. La lumière est une mauvaise influence, d'abord. Je reviendrai dans cinq heures. Mais ne compte pas les heures. Compte les distances. »

C'était le 17 septembre de cette année-là, un mois après le début de la saison de pluie. La terre bourdonnait dans les chutes d'eau. Les habitants à Crouet et à Ptère s'activaient avec balai et serpillère. Je n'entendis rien. J'imaginai et, après un grand temps, de nouveau je ne pus me retenir de tomber dans le sommeil.

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Je rêvai de mon amie Pluette. Je m'approchai d'elle petit à petit. Je me laissai pousser les cheveux, je voulais les mettre devant ses jambes pour la cacher mais elle avait plus honte encore et refusait. « C'est de ma faute, ne la frappez pas », disais-je d'une voix plaintive. De plus belle l'eau redoublait entre ses jambes en métamorphosant ses couleurs, du jaune d'or au vert feuille, de l'acajou à l'ambre et au brun, sans répit. « Ce sont tes cheveux, tes sales cheveux », pleurait-elle. Alors je les lavais dans son eau, contre toute logique, je les trempais dans les couleurs de Pluette. J'étais tellement en sueur à mon réveil, l'école Bustrofet est sans fenêtres, ni aération.

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Josquin Bustrofet hurla : « Tu as encore dormi et ne fais que dormir. Tu ne penses qu'à dormir. » Il sortit un petit cigare pour le fumer sous mon nez. « Tu as l'air pitoyable. Tu ne vas pas t'appeler Soulier ici. Tu es vraiment pitoyable au possible. Tu vas t'appeler... » Il saisit mon organe sexuel et il le malaxa longtemps sans rien dire. « Petite salope, tu bandes. Dès que tu battras des paupières, Traîneau te donnera le fouet avec la laisse de Télécabine. Il te donnera ton nom. C'est entendu ? Lèche-botte, fais ce qu'on te dit, garde les yeux ouverts et compte. Ptère n'a pas besoin de paysan dans ton genre mais de gars solides qui savent à quelle place ils sont. Encore cinq heures, après c'est la porte. Traîneau fera ce qu'il voudra. »

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Traîneau dit : « Tu es au cube n°1. Le tout est d'imaginer une personne. Tu ne peux pas calculer la distance ici à cause de la lumière. C'est comme ça à l'est, la direction à laquelle nous te préparons: tu te lèves, le soleil t'éblouit, et impossible de concentrer le regard, je le sais, j'y suis allé. Impossible de rester à bonne distance de ton semblable. La politesse y est vaine. C'est pour cela qu'ils sont sauvages là-bas dans les départements. Ils ne savent pas et ne peuvent pas voir. Ce sera pour toi plus dur que les autres, parce que tu viens de là-bas, à cause de tes parents. Tu dois appprendre à détester la lumière. Tu dois fermer les yeux et faire le noir. Dans le noir tu allumes ta propre lumière sur la personne que tu veux tenir à bonne distance, tu la mets dans cette lumière-là. Compris ? Et alors tu comptes. Mais il faut des repères. Commence par mettre la chienne à trois mètres. Télécabine, idiot, la chienne. Ferme les yeux, marche trois mètres, je te dirai quand. Arrête-toi, place le chienne mentalement dans ta tête à cette distance de trois mètres. Reviens à ton point de départ, sans ouvrir les yeux. Commence par ça. »

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 Il me frappe. « La chienne te mordrait », dit-il plusieurs fois. « Encore un peu plus. Un peu moins. Tu ne comprends rien. Reviens au point de ton départ. Mets-toi contre le mur. Compte à haute voix. » Et il me dit : « Ouvre les yeux. À quelle distance me trouves-tu ? Regarde. Maintenant ferme les yeux. Regarde encore. Ferme les yeux. Allez, dis un chiffre. » Je lui dis un chiffre. Il dit : « Tu n'es pas loin, Tatane. Encore deux heures. »

J'étais tout nu dans le lit, à côté du corps pesant de Josquin Bustrofet. Je m'efforçai de ne pas bouger, embarrassé de l'érection de mon corps et cherchai le bord du lit sans le trouver. Je me déplaçai lentement, loin de Josquin Bustrofet. Au bout d'une demi-heure au moins, trouvai le bord du lit : c'était là qu'attendait Télécabine gueule ouverte. Dégoût, c'est ce que l'apprentissage provoque chez le novice comme moi qui n'a jamais connu la discipline ni le meilleur du savoir humain. C'est qu'il est très difficile d'apprendre. Il me semble que c'est la faute de nous autres, Ptèrotes. Il me semble que la politesse, pour être comprise et bien marcher, devrait être très claire, beaucoup plus claire. Je ne vais pas faire des reproches à ceux que j'admire. Pardonnez-moi. J'aime Ptère comme tous ses fils et comme mes frères et ma famille. Aussi je trouve qu'il faut être plus doux avec les enfants de Ptère.

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Quand j'étais élève, j'avais huit condisciples, excellentes conditions. Le lit consistait en des matelas couchés les uns à côtés des autres sur des planches réhaussées par des entassements de briques dans le grenier de la maison. C'était brumeux de songes, étouffant comme l'été sous les toits et glacé comme l'eau que l'hiver veut geler. Pendant un mois je ne fus pas autorisé à sortir. Ce lit faisait douze mètres cinquante-trois de long du bord de la planche de gauche à celui de la planche de droite. Le matin il fallait aérer par une petite fenêtre vasistas dure à tirer, dure à pousser. Il fallait faire le lit et balayer sous le lit. Tout le nécessaire était dans une armoire en tôle au fond de la longueur du grenier et on rampait sous le lit. Il y avait un garçon qui nettoyait souvent parce qu'il n'était pas doué et très têtu. Nous sentions un peu de pitié pour lui mais pas trop. Nous n'étions pas tous gentils, comme vous pouvez le comprendre par le livre qui suit.

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Maison Bustrofet

               Livre d’or LIVRE DE CACA

 

Mon nom est Pipi, en hommage à Pistramouille, le héros de notre ville. Qu’il crève dans sa merde et que vous creviez tous, citoyens de Ptère la merde au cul ! Vous ne pouviez pas inventer un prénom plus ridicule à donner à vos enfants, sacs à merde cacaseptiques ? On vous a pas mis assez le nez dedans ! -- SERAFE (PIPI DE TA BITE)

Chaque jour, nous mangeons de la merde en barre, encore plus dans cette Armée de Crottin qui vous chie dessus. J’ai mangé cet aliment dans les hôpitaux de la déchéance du cul où on m’a volé la fèce en me faisant chier dans un pot. Maintenant me voilà libre de chier où bon me semble, pour combien de temps, car la rue est pleine de merde, ma pause tranquille durera le temps que j’aie rempli mon trou et après, crève, charogne. Dans la vie, on veut seulement son petit coin pour faire la grosse commission. – signé MARLON. MERDON

Tout ce que vous dites, c’est du flanc (écrit UN AUTRE qui a bien relu la MERDE que ses prédécesseurs ont écrit) puant. moi, Moi, je suis venu à Ptère en pensant qu’ici, on n’avait plus besoin de chier. Pourquoi donc vivre si c’est pour se torcher le cul ? Tu abats des forêts pour te forer un deuxième trou dans le derrière avec du papier ? On disait chez nous : « Ptère, la ville la plus nettoyée, Singapour à côté n’est qu’une grosse m… » « une m… » ils disaient. Tu parles, Charles, tu parles pas bien. Faut dire les mots.

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...La première chose que tu lis dans les parcs à Ptère, c’est l’arrêté pour empêcher les gens de se retenir de chier ! La première fois que tu vois qu’on jette en prison des gens et qu’ils les y laissent tant qu’ils n’ont pas déféqué, Amédée, quelle blague ! Tu en fais dans ton froc. Putain de ville de merde de putain ! On émigre par son anus et on reste coincé entre ses grosses fesses et on en mange l’amende à merde !

Bande de chiottes, chiasses, chieries, écumes de fion, qui c’est qu’a la tête dans le cul ? Qui c’est qu’a la tête dans le cul ? Qui c’est qu’a la tête dans le cul ?

Il est inutile d’être vulgaire.

Calio, sale grosse merde qui t’a permis de salir de tes doigts plein de chiure filandreuse la beauté de notre livre de vérité ? Qui t’a permis qui ne te l’a mise au cul pour y remuer la merde et te remettre les idées dans l’ordre bibliothécaire ?

Mais vieux con va, encore, si tu étais d'intelligence avec la crotte, tu comprendrais :

Et où qu’on vit dans ta ville propre et nettoyée ?

Où qu’on vit, où qu’on chie ? Y a-t-il plus pressant désir que de chier ? Et chier des gros tas de merde, n’est-ce pas désirable au possible ? Des bouses à boucher les bouts de trous trop grands pour la ventouse !

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En fait, eh bien, toute cette ville n’est qu’une sombre merde ! Et ceux qui l’inventèrent, eux aussi, les raseurs cabotins merdoyants noyés dans la fécale matière de leurs esprits crottineux, qu’ils crèvent par l’anus déféquant sans pouvoir se rattraper au bord qui glisse !

Qui nous a créés, il a créé la merde que chierait une merde si elle-même elle savait qu’elle a été chiée – qu’elle en serait dégoûtée à pleurer des gouttes d’elle-même plus concentrées – c’est-à-dire, bande de fumiers, de l’immondice dédaignée par les chiens, ces petits chevaux qui pourtant tout le temps mangent leur propre merde –

et que cette merde, il la mange aujourd’hui, ce cacateur, et qu’il en laisse pour demain et jusqu’à l’heure où le dernier chieur aura pris l’envie de chier la dernière chiure et dira la bouche pleine de merde : « Chie-toi toi-même ».

 

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Et toi le putride merdeux-merdeuse qui veut sucer le cul de Bustrofet, et vous tous les vidasses et vos chiards, là où votre désir vous mène à Ptère pour y apprendre la politesse, emmenerdez donc un grand baquet avec son grand couvercle, et faisez-le bien hermétique, bien épètique, bien diarrhébucolique, et vos désirs, foi de Ptèrote, foi de Merdote à Bernadotte carré dans ton Cambronne et Brenne, mettez-les bien au fond de votre cul et allez-y dans le baquet, caguez :

AH, c'est bon, ça déborde, et ça gicle en torrents, et ça cacate à qui mieux mieux en rayons bruns-rouge par votre orifice, les colonnes de crotte de fourmis caparaçonnées de chiure de mouches, frétillante de gros pets tendres.

Est-ce une vie d'être encollé dans cet océan de fiente qu’est Pètère, parents, enfants ? Une vie, yeah, d'être trempée dans ces bouillies de guano vert ?

Nous sommes créés Dieu sait par qui mais la première chose que nous chions, ils en ont fait de l’encre, ils en peignent partout les murs de Ptère – tellement que la ville en aime Heroïde – le poussé au cul. Des arrêtés, des règlements, des livres entiers plein de la merde de leur corps ! Ils veulent une ville de succès et de triomphe, mais la victoire sur les culs serait plus glorieuse. À nunuche création qui ne dit mot conchie. "Que fèssons-nous", demandez donc, merdeux, "de nos crèmeux excréments ? Quels rites, quel rien pour meubler l’heure de nos anales ?" Ne demandez donc pas à Bustrofet ce qu'il a fait, puisque que vous savez bien qu'en mangeur de merde il essuie la vôtre pour s'en bourrer la gueule !    *****//////*****

20

 

Qu'avez-vous lu? Vos oreilles en sifflent? Je vous ai montré l'éducation en train de se faire, attaquée par la médisance et la jalousie, maltraitée par la sauvagerie, comme les arbres sans feuilles qui l'hiver sont envahis de colonies de centaines de moineaux. Ceux qui se taisent ont l'air de murmurer, ceux qui crient n'ont que des reproches. On prépare des procès à ceux qui donnent gratuitement leur savoir. Le fond du problème, comment ne pas le voir. C'est le sexe. Les personnes qui engagent les enfants vers l'immondice commencent par les forsexuer. Époque de découragement et perverse. Tout le monde se liguait contre Josquin Bustrofet, les rats qui avaient peur qu'on leur nettoie leur égout. Dans ce puits de désastres, je tombais sans le savoir.

 

21

Crouet ce n'est pas Ptère. Ici, les jalousies ne se perdent pas dans la Sugne, les gens sont de long séjour, avec des haines qui tiennent la distance. C'est pour ça que je suis parti, et aussi pour servir ma patrie. Pendant qu'à Ptère, on enrôle à mon âge en masse, on donne à chacun sa chance, aux petits comme aux déformés, ici, à Crouet, sur des lauriers plus petits et plus déformés, on se repose sans excuses, et on tyrannise. Est-ce qu’un jeune, un débutant de la vie, comme moi, ça peut lui donner quelle idée ? Où est-ce que ça l’enfouit ? « C’est ici, le pays des rêves ; c’est ici, le temple de liberté », disent-ils.  Mais non : quand un homme jeune veut repartir de zéro, ils en font une charrette, et ils lui retirent les roues. On est libre comme l’air, il n’y a rien à faire, et aussitôt qu’ils vous disent non, c’est catastrophique. Cela fait des impolis. Or qui ne sait point être poli, celui-là ne va dans ces rues que par express oubli de la Destinée. Qu'il dit un mot de travers, elle se réveille, elle se déchiffonne, elle l’attrape par la manche et le fait cuire à feu fort. Si on n’est poli, on ne sait rien.

22

Au sujet des reproches à Bustrofet, je peux dire que c'est vrai, il jouait avec nous, Josquin Bustrofet, ne nous traitait pas comme il devait le faire à première vue.

J'ai sur le corps les traces des morsures infligées par la chienne Télécabine. Je trouve que sans désemparer il faudrait exclure les chiens de notre enseignement. Télécabine était un animal mauvais qui avait été dans les départements de l'est et qui en avait gardé des basaffres. À Crouet c'était bien connu et tout le monde l'évitait.

Je me souviens aussi des attouchements déplacés. Mais les gens sont des faibles, de faiblesse jalouse.

Au bout de tout le temps que j'ai dit, Josquin Bustrofet me fit sortir du cube n°1, et Traîneau me présenta en pleine nuit aux autres élèves. Nous étions merveilleusement heureux.

23

La méthode Bustrofet marche. Après le cube n°2, je savais déjà exactement où se trouvait chaque chose dans la chambre. Dans mon esprit un feu de coordonnées lançait des flammèches et léchait tout objet, toute distance. J’aurais pu avoir la maison de la politesse et travailler dans les administrations. Dans le cube numéro 2 était des objets à placer, comme font les enfants. On s’y préparait par le jeu du labyrinthe: avec la chaise de campagne repliable, on s'assied au commandement selon des configurations à peine aperçues sur des dessins, en parfaite correspondance les uns par rapport aux autres vis-à-vis du dessin. Quand c'est maîtrisé, une autre étape débute dans le cube numéro 2 : d’abord placer des objets seuls. Puis faire tenir des objets par des camarades. On règle la position de chacun, on fait tendre les bras d’une certaine manière, selon le plan, les jambes, en suivant les indications de l’exercice, on change de position, à tour de rôle et de plus en plus vite, chacun donne et reçoit des ordres, dans la plus parfaite égalité. Car il n’y a pas de maître, il n’y a pas d’élève, tout le monde dort ensemble. Nous communions avec Josquin Bustrofet. C'est cela, apprendre le patriotisme.

24

En apprenant les distances, on peut comprendre tout. La méthode Bustrofet est de comprendre que les distances ne servent pas seulement à la politesse, mais à tout. Grâce à lui, je comprenais chaque jour un peu plus l’importance de la politesse, et pourquoi elle se cache dans chaque grain de la vie. Je ne crois pas que tous le comprenaient. Même peut-être pas Traîneau, mais moi, je comprenais, je comprenais Josquin Bustrofet, je comprenais qu’il avait un dessein pour moi qu’il ne voulait pas laisser voir. J’ignorais ce qu’il avait dit à ma tante, le premier jour, mais je savais qu’il ne m’avait pas pris à mon âge pour une petite affaire d’extorquer à ma tante un pécule, il n’exploitait pas. M’enforcissant et prospérant dans son service, comment aurais-je pu douter de sa bonté ? Je ne me mêlais pas de savoir comment il fonctionnait. Il me le disait lui-même. « J’abhorre, comprends-tu, la petitesse. Quelqu’un qui vient de l’est, comme toi, je ne le rejette pas. Je lui demande de travailler, et d’être honnête, même contre sa nature. »

Pourtant, ils lui ont envoyé ce procès. Comment ça s’est passé, difficile de dire, je ne posais pas de questions. Pourtant, il était diplômé de la maison de la politesse !

25

Pluie délicate comme une plume, je n’avais même pas froid, tout nu devant l’école. Calio, le petit garçon trompettiste aux grosses joues se tenait devant moi, mécontent d’avoir à surveiller ma punition, puni lui-même pour quelque chose de moins important. Il me questionne, parler de petit enfant. Il s’étonne de ce que je fais dehors et de la manière dont je m’y prends. Il s’énerve. On va le punir plus fort. « C’est peut-être que j’ai besoin qu’on me frappe, c’est peut-être ça", me dis-je, sans le dire. Je sens un grain dans mon esprit qui crisse et s’émeut. J’étais bouleversé. Je venais d’apprendre la mort au combat de mon frère aîné. Je ne souffrais pas. Josquin Bustrofet était parfait pour moi. J’ai tant appris.

26

Pluette, les joues rouges, comme si elle était perpétuellement gênée, perpétuellement en colère, perpétuellement fouettée par un vent froid, elle demandait sans demander, criait : « Les gens ne sont pas assez polis peut-être ? Ils ne se disent pas assez bonjour, au revoir, merci, de rien ? Moi, peut-être, je ne suis pas assez polie ? Bandes de connards !" et elle baratinait de l'anarchie, elle qui filialement rendait visite à sa grand-mère et jouait aux dames dans son appartement plein des odeurs de vieux de Crouet en mangeant des pâtisseries, et la grand-mère, après, elle lui donnait de l’argent. Elle ne sait pas ce qui se passe entre hommes. Quand elle devine bien, c'est qu'elle se fait encore plus d'idées.

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Qui n’a pas vu ce que l’ordre peut faire, quand chacun sait sa place, celui-là ne peut pas savoir de quoi l’homme est capable. Comme il retourne tout le mal qu’il y a dans la nature et le met à profit.

La tente de démonstration fut construite en quelques instants, si savamment qu’il n’y eut pas besoin de parler. Pas un seul mot ne fut prononcé par personne. Les éléments furent sortis de la cave par Traîneau, qui les déposa dans le jardin. Accalmie dans les pluies, prévue par Josquin Bustrofet.

Chacun prend sa perche selon le plan et on n’entend pas un son, pas un choc entre les éléments. Nous sommes les éléments eux-mêmes, nous nous transportons pour faire une tente, plus habiles que des fourmis, et nous sommes aussi plus discrets que de petites souris grises.

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Bien sûr que Josquin Bustrofet connaissait déjà dès ce moment-là le sort que lui réservait la mairie de Crouet, même si, tout à fait humain et plus, il devine leurs manigances sans pouvoir exactement prévenir. Mais d’où peut venir le coup ? Il s’occupe d’enfants, il consacre sa vie à les faire échapper à la médiocrité de leur milieu. Même ceux des départements il leur ouvre la porte. Des gens comme Traîneau, qu’il a connus bébés, il leur trouve un emploi, leur permet de parachever leur éducation et d’en faire profiter les autres. Il savait que nous étions tous promis à la ruine sans lui. Il a beau chercher, il ne voit pas par où on va l’enfoncer. Il demande ici et là, à ses vieux alliés de la mairie – il va voir Sudamico, les époux Boudard, le cabinet du maire, mais on ne veut rien lui dire.

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Émilia Badouli, émigré de Vièbe, avait fait une donation à l’entrée de son fils dans la maison Bustrofet.

« Cette responsabilité de mon fils est lourde à prendre », écrivit-elle à Bustrofet « mais je vous offre cette somme (Trois cent soixante quinze mille, 375.000) pour que vous la gérer comme si c’était la votre dans l’intérêt de réaliser mes vœux les plus chers au monde. Parfois, je me demande pourquoi mon existence sur la planète terre » ajouta-t-elle « car j’ai vécu inutilement bien aimé. Je suis hospitalisée. Écrivez moi directement à mon adresse mail le plus consulter que voici »

L'orgueilleuse avait secrètement préempté le terrain sur laquelle l’école avait été construite, ainsi que les murs, tous deux propriétés de la ville de Crouet. Josquin Bustrofet n'avait plus eu qu'à l'acheter, mais à la condition de ne jamais et d’aucune manière se déssaisir de cette possession sanctifiée par l’enseignement de la politesse. Cette condition, elle n’avait pas voulu la rendre contractuelle, confiante dans la parole des hommes.

 

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Josquin Bustrofet mit la propriété sur le marché, mais, oh les méchants ne durent jamais, en fut réduit à clochardiser les rues dans laquelle il avait défilé, lui qui avait pensé vivre du produit de la vente, car le terrain, personne n'en voulait.

Il fallut bien que Josquin Bustrofet se sépare de l’ami Traîneau et vive de petits travaux, à Crouet puis, quittant la ville, s’éloignant de plus en plus vers l’est, et se traînant, Bustrofet devint tout à fait sauvage.

Deux ans passèrent.

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Par chance extraordinaire, il rencontra le Sieur Guérond, simple fromager alors – le pauvre homme riche ne lisait pas les journaux tant son isolement était grand – et parent de Josquin Bustrofet par sa morale simple et cruelle, il sut aimer l’ancien professeur de politesse. Il le nourrit, lui posa des questions, le raffermit, le frotta, si bien qu’un jour Josquin Bustrofet retrouva assez de confiance pour rappeler Traîneau, qui accourut.

Mais malgré les instances du nouveau venu, toujours enthousiaste à l'idée de faire connaître la méthode Bustrofet, celui-là ne consentit pas à reprendre ses activités. Il parvint avec l’aide de Guérond à vendre l'école de Crouet, et acheta à la place un bar, dans un quartier à la mode de Ptère. « Je veux m’amuser », dit-il « en ce monde tout trahit et dévore. » Il buvait beaucoup et s'était fait un mode de vie déréglé.

Ce pourquoi, après quelques semaines, Traîneau se résolut à contre-cœur à quitter son vieux maître, incapable d'imiter sa frénésie nouvelle. Un pigeon ne peut pas être un aigle. Quant à moi, s'il vous plaît de savoir ce que moi, je suis devenu, vous voudrez bien prendre des nouvelles de mon enlèvement.

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Sale jour. Sale journée. Je suis avec les mots comme la pie et le verre. Bustrofet, lui, n’aimait pas les mots, il y était mauvais. Quand la tente fut montée, on installa dehors un abri pour les éléments du char. Les autres prennent deux mois pour en construire un – nous c’était trois semaines, avec la méthode Bustrofet. Le soir quand les autres dorment, on tordait du fil de fer mou entre des petites fleurs de crépon. C’est la bêtise de Crouet. On doit être vu, faire des parades.

Il commence : « Gloire à nos soldats ! »

Et nous : « Honneur à nos libérateurs ! »

Silence. Le petit Guigui compte dans sa tête, et du coup ferme les yeux. « Ouverts ! » crie Traîneau. Le pauvre sursaute.

Il faut entendre les bruits de la nature. Notre nature sacrée de Ptère, même ici. Les bâillements de Télécabine. Et la vibration que produit l’enthousiasme de tous dans l’air. De tous les coins de la propriété de la maison Bustrofet – mais c’est vraiment un terrain vague où des ronces poussent sur des cailloux – et ici et là, dans un creux du sol où il y a un trou de marmotte, la vie se poursuit et la maison Bustrofet est au garde à vous et l’entend.

Josquin Bustrofet fit sonner deux petites claques dans l’air.

Nous soufflons.

Il y a à côté de lui un homme qui a l’air de le gêner.

« Josquin Bustrofet – ce que vous avez besoin quand vous l'avez besoin. »

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Est-ce que tu n'as pas d'oreille ?

Est-ce que tu n'entends pas que ce n'est pas le moment ?

Est-ce que tu n'as aucune idée vraiment du nombre de pas que tu dois faire dans ta tête avant de répondre ?

Même les imbéciles savent compter sur leurs doigts.

Je préférerais que tu ne recommences pas.

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Tu ne comprends toujours pas. C'est comme si

À suivre...