Prendre un café

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1

« Il y a quelque chose qui vous pousse. Qu'est-ce que c'est ? Ma question pour vous » demandait cette dame à toutes ces connaissances. « C'est l'homme, l'homme seul, qui crée des problèmes. Un seul homme peut faire beaucoup de bien. Là où il est nécessaire, là est la place d'un homme. Nous ne devons pas mettre tous nos œufs dans le même panier, car ils s’y brisent. »

2

« Mon mari disait : Quelle heure est-il ? Il souscrivait à l’emprunt national, il tournait la tête, regardait le réveille-matin, qu'il entend à présent, répond lui-même à la question : "7h45. C'est tard". Moi: "Avec tous ces événements, on ne sait plus où on en est." Il m’en veut de ne pas avoir dit quelque chose de plus intelligent. Il exagère. Il le sait. Il faut partir. Le monde appartient à ceux qui se lèvent plus tôt. Il allume la radio. Imaginez un ciseau qui passe et rompe aux fils la couture du pantalon, sans rien abîmer d'autre. C’est Vièbe. L’ordre est donné aux citoyens fidèles de quitter la ville. Pluie de contributions au secours des victimes. »

3

Toujours il écoute la radio, pour vivre.

La radio:

"Le nom de Ptère, dont la si longue histoire n'est que la chambre d'écho de la gloire et du succès, aurait mérité vraiment d'être secondé par le bras politique, non ? Praiparla, praiparla ! Masse tranquille de concitoyens ahuris et ignorants, alors que le soldat, dans le désert de Morée, sera retrouvé, sans dernier chargeur, épuisé, émacié de soif, son béret gisant, cabossé, tué par des pillards, des rebelles en fuite surprenant par leur nombre, seul, terriblement seul et fidèle jusqu’au bout, plus attaché au renom de nos armes qu’à son salut. »

4

"Quel pays au monde dénierait songerait etc. quel pays sinon le nôtre prompt à abandonner ses fils etc., plus grave que l’insulte faite à l’armée, la ligne d’approvisionnement vitale que la modernisation, une défaillance humaine, quand enfin nous étions si prêts du but, nous sommes passés en ce début de novembre tout près d’un "

Toujours il écoute cette radio, c'est beau :

5

"Les bases de la rébellion sapées, son pouvoir de nuisance privé de l’aide de ses plus puissants alliés, neutralisés tout au moins, forcés de tourner leurs attentions vers leur propre défense, contraints par traité de limiter leurs immixtions sous peine de voir nos croiseurs menacer de dévastation leurs côtes exposées à nos coups, nos protecteurs amenés, par une habile diplomatie, à accepter ici le déploiement d’influence nécessaire à notre sécurité et à la prospérité de notre économie, le renouveau de notre puissance visible enfin sur tous les fronts, ses amis, jusqu'alors découragés par des années de reculades, auraient commencé à relever la tête, se seraient enhardis, auraient défendu son nom traîné dans la boue, relevé le gant lancé par nos contempteurs et fait diligent marché de leurs rodomontades. C’étaient nos drapeaux ptèrotes partout relevés, nos chants entonnés par des millions de bouche, notre hon"

« Eh, Madame ? »

« Madame ? Eh ? »

7

"À l’est, les blindés du général Catulle se heurtent à forte partie. Les assauts se multiplient dans la nuit, près de la passe de Marut, au praiparla."

« Quoi ? » dit la dame. « Répète ce que t'a dit. »

"À l’est, les blindés du général Catulle se heurtent à forte partie. Les assauts se multiplient dans la nuit, près de la passe de Marut, au praiparla."

« M'en rappelle pâs du tout. Rappelle de rien. »

"L’appui aérien manque cruellement."

« AH ? AH BON ? »

8

« "L'attaque a commencé. Les tanks ont reçu l'ordre de se mettre en mouvement. Ils passent la frontière provinciale. De nombreux camions calent. L'avance se poursuit malgré tout. On étrenne des avions. Ptère doit donner une leçon. Nous aurons sur les bras un nouvel Hitler. Souve" »

Il y eut un bruit d'eau.

9

Le poisson fila dans le profond de la mer, la mère essaya d'attraper le poisson, le poisson partit du mauvais côté toujours, non dans le chas de la mer. Mer rebelle à toute couture, mère couturière, regarde au loin ton fil, le poisson, ton aiguille à la main, regarde parler ton fil, le poisson, qui saute hors de l'eau la surmonte un moment de gerbes et de flashes, et la mouette courir de biais sous les vents quand tu te rapproches d'elle.

Quand le poisson qui est un chas saute hors de l'eau, la mer alors devient un marc où se lit l'avenir.

Mère attentive, obscurcie derrière, Mère à cet instant lit. Que lit Mère ? Aussitôt cela s'obscurcit.

10

Sa main ouvrit le placard. Elle tourna son regard vers la cafetière où le feu prenait, attendant que l’eau bulle. Quelques minutes attendirent. Elle s’assit sur une chaise. Elle se rapprocha de la gazinière. Elle eut peur que son mari ne vienne. L’eau se réchauffait. La flamme brûlait le fond de la cafetière. L’eau barbullait, abullait.

Elle sourit. Elle se réveillait. Bientôt l’eau bullait et montait. L’eau devenait du café. Son mari se réveillait.

Son mari était éveillé en un sursaut. Il regardait la commode au bas du lit, il pela alors son corps du lit, écrasait ses pantoufles, portait la tasse à ses lèvres, recula la chaise et s’assit.

11

Il y avait un tumulte dans les lobes du cerveau de son mari. Le café le brûlait. Le jour étendait sa main de myriades sur le crâne de son mari. La voix du père de son mari et la voix de la mère de son mari et la voix des frères et sœurs de son mari et la voix du patron de son mari et la voix de l’épicier et la voix du portier et la voix du voisin et la voix des enfants de l’immeuble voisin et sa voix qui se taisait et la voix de la radio qu’il allumait et les voix qui montaient se préparèrent. Son mari avala. Il se releva. C’était une belle journée,

monta et descendit. Remonta et redescendit. Remonta et redescendit. Remonta et redescendit.

Il regarda dans le miroir.

Il passa l’index de la main qui écrit sur ses dents. Où il y a un problème, l'on trouve une solution.

12

« Donne-moi mon repas. »

Un escalier attend, descend.

Les marches descendent autour du vide de l’escalier où est encagé l’ascenseur.

Son mari n’a pas oublié quelque chose.

La main glisse sur la rampe de l’escalier.

Les chaussures sont en haut de l’escalier.

Les chaussures descendent une à une les marches de l’escalier. La porte du dehors est en bas.

La solution du problème attend.

Les chaussures descendent et sans peur attendent que le sol du dehors leur saute dessus.

Avec une facilité sans cesse plus grande le regard emmène les pieds qui emmène le corps tout entier, son mari, dans cette direction toute droite. Le soleil a commencé.

13

Ne pense pas à être, ne pense pas, ne pense. Ne pense à rien, ne pense pas, ne pense à tout, ne pense, ne pense à pas tout, à tout pas tout, pas rien, ne pense, ne pense. Pense au futur pense à l’avenir pense à demain pense à eux pense à toi pense pense pense. Tout va bien, courage, courageux, cours, cours, couché. Combattre la tyrannie. Sans peur ni hésitation. Ahh ! Mais oui. Bien. Ahh ! Un. Deux. Trois. Demain. Pense à eux demain dors cours courageux ne crie ne pense ne dors ne dis. Ahh ! Frais, c’est trop frais, c’est trop chaud. Écoute-la. Écoute, ne pense plus. Tu es au chaud, c’est frais. Demain on ne sait jamais.

14

 
 
Un vaste océan de songes l’assomme, il sombre, les eaux si noires l’enveloppent.
Sur un cheval il galope
La bouche ouverte et l’œil immense
Il arrive en vue de Ptère

 

15

Tout Ptère lui tourne le dos, à la direction mauvaise de l'Est, depuis la route de Méridoine. Cette route de Méridoine chemine dans des défilés où circulent particulièrement, dans un bruit qui couvre tout, des tombereaux qui apportent à Ptère de quoi combler ses trous. Cette ville, combien de fois détruite, combien de fois reconstruite depuis sa fondation ? À droite, le premier pic, le Soumarien, apprécié des alpinistes, décapité il y a peu par l’écrasement d’un avion de ligne dont l’explosion ne causa aucun mort. À gauche, bientôt, le Parsoumarien. La route de Méridoine se transforme en boulevard aux abords de la porte du yaourt, traversant sur un pont la rocade enterrée. Un peu de bonne humeur facilite la vie. Suis le cours de la Sugne, qui depuis l’Ouest, dessine une majestueuse vallée enrubannée de chutes d’eau et de précipices jusqu’à la cuvette de Ptère. Du bruit court sur les eaux avec des pattes légères et invisibles de moustique. La rivière fait entendre un grondement, enflant ses eaux d’écume, battant sa poitrine de queues de poissons.

 

À suivre...