Françoise veuve

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Ils tuèrent aussi la femme de François. Elle qui était capitaine d’artillerie, il fallut la saigner. François voulut s’empoisonner, on saisit son compte, il vendit des meubles, son chien. Ils établirent un conseil des trente, un conseil des quarante-cinq, devant lesquels il porta plainte pour faire assigner Dubré et Autun, ces deux colonels, les coupables. Le neveu de Françoise, le bijoutier Numance, fut tué à l'instigation de ces deux-là, par un homme qui lui devait de l’argent. Enjoint de se remarier, François refusa, sa maison, on la saccagea. Il attendit que le parlement de Ptère entrât en séance et fit interrompre par un huissier l’inauguration du président. Il fut poursuivi, refusa d’autres encouragements au mariage. Il demandait justice pour sa femme, réparation pour ses biens, se défendit d’accusations de coups et blessures contre des représentants de la nation, menaces, résistance. On mit le feu chez lui avant de revenir fouiller ce que l’incendie éteint n’avait pas brûlé. Une tante de sa femme qui ne l’aimait pas et qui avait pris pitié de lui lui révéla qu’il y avait de l’argent caché quelque part. Il y eut plusieurs massacres entre lesquelles il fallut aller. François correspondit par lettres secrètes avec un ancien soldat. Il passait pour vacher. Il l’encouragea. Il accepta son aide les yeux secs.

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D’abord tuer Dubré ou Autun ? Dubré fut transféré. Le vacher, nom de famille Genri, lui dit « Maître Léon, Autun aussi est transféré ». « Une bonne chose, il s’est élevé tout seul, il est très populaire. » Il essaya de faire tuer Dubré avec une bombe. Il écrivit à Autun une lettre qui resta sans réponse. Après cet échec, Genri se fit pirate. Vièbe fut occupée encore, complètement rasée. Genri apprit que le Maître s’était illustré pendant le siège. Il voulut l'en féliciter, en essayant de rejoindre la ville se fit tuer. François détourna des vivres pour affamer ses ennemis et venir en aide à ses voisins. Quelqu’un qui portait le même nom que lui fut arrêté, jugé, exécuté à sa place. Imminente, son arrestation fut retardée. Il était réfugié dans la montagne sous le nom de Lambert, puis de Léman, puis d’Anty, puis de Slami, puis de Cranque. Dubré promu général, François redescendit en ville pour le rencontrer, et trouva Vièbe en pleine reconstruction, son immeuble effacé sous une nouvelle avenue. Il en était réduit à la mendicité, maigre à faire peur et tenu pour condamné à une semaine. Ceux de Bisonnette placèrent dans la ville des caches de nourriture, en petites quantités, qui arrivèrent à leurs destinataires parfois.

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Elle travailla un temps comme secrétaire des Alliés, à la section des travaux publics qui affrétait les camions de gravats, sous le nom de Bognat. Elle ne profita pas tout de suite de l’amnistie, vivant pauvrement, versant la moitié de son salaire à sa mère, qui en redonnait à des infirmes. À six heures moins dix, en janvier, le soir, elle donna sa démission et déposa une lettre requérant l’amnistie de Françoise Léon. Il y avait du travail dans les usines de salage du poisson. Il y avait aussi du travail dans les tavernes et les restaurants, dans les entrepôts des docks et des routes, dans les chantiers navals, dans les compagnies de terrassiers sur les barrages et au fond des tunnels d’approvisionnement en eau. Il y avait du travail aussi dans les déchetteries, les métiers à tisser la soie, les fonderies, les moulins, les mines. Elle aida à convertir les monnaies de nécessité. Elle reçut une proposition de mariage à nouveau. Ce n’était pas un soldat – mais la cérémonie n’eut pas lieu. Le printemps exceptionnellement doux avait attiré des milliers de réfugiés sur les plages. Il y eut des échauffourées. Le bas des montagnes était rouge de coquelicots. La foule s’aspergeait d’eau. La paix retombait dans de nombreux cœurs encore rapetissés et qui ne se montraient pas. Après trois ans de désolation, la ville avait des tiroirs et des cagibis, des plâtriers, des plombages d’or, s’étendait les pattes sur les collines, collectait les morceaux de cadavres qui se retrouvaient encore, laissait revenir les jours de la semaine l’un après l’autre. Françoise Léon, veuve, demandait encore réparation sans y être encouragée.

À suivre...